Nombre d’entre nous ont ressenti à un moment de leur vie le besoin de couper les ponts.

Détail de la couverture de la première édition (1854)Il n’y a pas si longtemps, le film Into the wild de Sean Penn tout comme le livre Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson ont traité de cette nécessaire parenthèse. Formidables, ils ne sont toutefois que les épigones d’une œuvre hors-norme : Walden ou la vie dans les bois d’Henri David Thoreau.

Essayiste, mémorialiste et poète américain d’ascendance française et écossaise (1817-1862), Thoreau a mené une vie ascétique, ne se livrant à l’observation extérieure que pour parvenir à la pleine connaissance de lui-même.
Walden est le « journal » de sa vie solitaire et méditative pendant deux ans à Walden Pond. Un mode de vie qui devrait interpeler quelques jurassiens !

 

 

 

Quaker et puritain, ce drôle d’oiseau affiche une éthique sans concession :

« L’opinion publique est un tyran bien faible, comparée à l’opinion que nous avons de nous-mêmes. »

Et dur envers lui-même, il s’affranchit des valeurs morales établies :

« La plus grande partie de ce que mes voisins appellent le bien, je crois au fond de mon cœur qu’il s’agit du mal ; et s’il y a quelque chose dont je me repentis, c’est probablement de ma bonne conduite. »

Perturbant pour le lecteur, Walden est une tentative de retrouver un regard neuf sur le monde et sa lecture s’avère enrichissante si l’on se garde d’y adhérer pleinement. Pour preuve du tempérament quelque peu difficile et misanthrope de Thoreau, la question de la sociabilité qu’il aborde à rebrousse-poil dans le cinquième chapitre intitulé « Solitude » :

« Je pense qu’il est salutaire d’être seul la plupart du temps. Etre en compagnie, même avec les meilleurs des hommes, est bientôt lassant et dégradant. J’aime être seul. Je n’ai jamais trouvé de compagnon qui fut d’aussi agréable compagnie que la solitude. La plupart d’entre nous se sentent plus solitaires quand ils sortent pour se mêler aux autres que lorsqu’ils restent dans leur logis. »

Plus déstabilisante encore cette autre citation, lucide ou nihiliste, à vous de juger :

« Nous nous voyons aux repas trois fois par jour, et redonnons aux autres à goûter de nouveau de ce vieux fromage moisi que nous sommes. Il nous a fallu convenir d’un certain ensemble de règles appelées étiquette, politesse, afin de rendre ces rencontres fréquentes tolérables, et de n’en pas venir à la guerre ouverte. »

Un dernier extrait sur ce sujet, mon préféré, en raison de sa concision :

« J’avais trois chaises dans ma maison. L’une pour la solitude, deux pour l’amitié, trois pour la société. »

Tout est dit en peu de mots. Thoreau pourrait aisément passer aujourd’hui pour un vieux ronchon alors que nous sommes obsédés par l’information galopante et que nous sommes hyper-connectés. Pour certains j’en suis sûr, ces quelques lignes n’en paraîtront pas moins modernes :

« Cultivez la pauvreté comme une herbe potagère, comme la sauge. Ne vous mettez pas en peine d’acquérir des objets nouveaux, que ce soient des vêtements ou des amis. (...) En outre, si vous êtes restreints dans vos possibilités par la pauvreté, si vous ne pouvez acheter des livres et des journaux par exemple, vous êtes seulement limités aux expériences les plus essentielles, les plus vitales... »

Une vie sans livres ? Rassurez-vous. Si Thoreau nous rappelle l’expérience hallucinante que constitue le simple fait d’être au monde, il n’en a pas moins adoré la lecture qui a nourri son style comme l’illustre le tout dernier paragraphe de Walden :

« Je ne dis pas que Jean et Paul se rendront compte de tout cela, mais tel est le caractère de ce lendemain dont le simple passage du temps ne peut faire luire l’aurore. La lumière qui aveugle nos yeux est pour nous obscurité. C’est seulement le jour où nous nous éveillons qui a la clarté de l’aube. L’aube viendra, d’un jour plus éclatant. Le soleil n’est que l’étoile du matin. » (p.539)

Ces quelques extraits sont tirés de l’édition bilingue de Walden parue chez Aubier. Depuis peu la MDJ propose également la dernière traduction en français de ce classique de la littérature américaine avec une préface de Michel Onfray, une tête de mule digne de Thoreau !

 

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