La bibliographie matérielle est la science du livre en tant qu’objet, l’étude matérielle des textes imprimés.

 

Notes de cours, ENSSIB Villeurbanne, 2005

 

La bibliographie matérielle décrit le livre comme un objet indépendamment de son contenu intellectuel.
C’est un terme traduit littéralement de l’anglais (traduction de R. Laufer). Cette science analyse les étapes de la réalisation du livre. Le support d’un document n’est jamais neutre et influe sur son contenu. L’aspect du livre est révélateur. La bibliographie matérielle intéresse les historiens du livre, les bibliothécaires, les éditeurs, etc… Elle donne des indications sur la date et le lieu d’impression, permet la détection des contrefaçons, révèle la filiation des éditions et permet l’étude des variations du texte.

Née au Royaume-Uni, elle a été élaborée pour étudier les éditions imprimées des dramaturges anglais du 17eme siècle et pour retrouver le texte de base voulu par l’auteur (shakespeare, mais aussi d’autres auteurs). Hinman invente une machine pour collationner les inventaires et détecter les différences concernant la même page entre deux exemplaires. Après 1945, son domaine d’étude a été élargi. Elle est maintenant appliquée à la production imprimée de l’Europe occidentale hors d’Angleterre.

Sous l’ancien régime, les contrefaçons sont courantes : on reproduit à l’identique l’œuvre d’origine afin de passer outre le privilège de l’éditeur, ou bien de profiter de sa notoriété. La bibliographie matérielle étudie les caractères, les signes régionaux : les signatures ne sont pas à la même place selon les pays, les couleurs utilisées ne sont pas les mêmes, etc…

Privilèges et permissions tacites : un éditeur obtenait un Privilège royal pour éditer une œuvre, ce qui correspondait à un monopole pour une période de 6 à 9 ans. Les permissions tacites, accordées à partir de 1718, étaient des formes de tolérance d’éditions pour des ouvrages auxquels l’autorité ne souhaitait pas accorder de Privilège, mais ne souhaitait pas non plus interdire l’édition sur le territoire français, ce qui aurait eu pour effet la même circulation en France d’ouvrages édités à l’étranger, et donc une perte de revenus commerciaux. Ces ouvrages étaient donc imprimés en France, mais censés venir de l’étranger. Ils ont une forme tout à fait reconnaissable. En général, une permission tacite était pour le lecteur le signe que l’ouvrage apportait des idées nouvelles et intéressantes. Le système est institué pour l’ensemble du royaume, mais ce sont en général les éditeurs parisiens qui demandent cette autorisation.

Pour pratiquer la bibliographie matérielle, il faut être attentif aux détails physiques du livres et faire des relevés, mais aussi bien connaître les méthodes de fabrication du livre.

 

Le papier

 

Dans ses débuts, la bibliographie matérielle ne s’intéresse pas du tout au papier, qui n’était pas probant dans les documents sur lesquels travaillaient les précurseurs. Il donne pourtant de nombreuses indications :

  • D’abord fabriqué avec des chiffons de lin et de chanvre, des vieux vêtements triés, débarrassés des ourlets et des boutons et lavés, puis mis au pourrissoir (dans de l’eau) un temps donné. La pâte obtenue après ce temps est ensuite découpée en lanières (dérompage), mise en bassins avec de l’eau et battue par des maillets. La pâte chauffée et brassée est prête à être utilisée.
  • Au 17eme siècle, les hollandais inventent la pile à cylindres qui évite le pourrissage, et donc les mauvaises odeurs, mais celle-ci n’a guère de succès en France.
    Le papier obtenu n’est pas très blanc. La couleur diffère selon les lieux de fabrication. En Hollande, l’azurage (ajout d’un certain colorant bleu azur) donne un ton plus blanc. Cette méthode est copiée en France sans guère de succès car le bleu utilisé était plus foncé.
    Le papier devient plus blanc à partir du moment où l’on utilise des chiffons contenant davantage de coton à la fin du 18eme siècle. En général, on utilise du papier vergé. Mais exceptionnellement on fabrique également du papier vélin (à partir de 1757) fait sur une forme tissée très serrée, ce qui permet de rendre invisibles les vergeures et les pontuseaux. Le papier vélin arrive en France en 1777. Mais c’est un papier coûteux et donc peu utilisé. Plus le papier vergé a de vergeures, plus grande est sa qualité.
    Au milieu du 18eme siècle, on utilise un papier vergé de grande qualité, celle-ci devient moins bonne à la fin du 18eme siècle.
    On introduit des filigranes : il s’agit de fils de laiton passés dans le papier pour produire des dessins. C’est à l’origine une sorte de signature du papetier ou du moulin où se fabrique le papier. Des filigranes indiquent la qualité du papier : un papier ordinaire est signé d’initiales alors qu’un papier de luxe est signé d’un nom entier. D’autres filigranes indiquent aussi la qualité du papier : « fin », « moyen », « bulle ». Mais cela peut aussi être un hommage au roi, à la reine, où à d’autres VIP.
    Les filigranes renseignent également sur le format du papier : apparaissent des filigranes génériques, comme le raisin, la couronne ou la coquille. D’autres indiquent l’année de fabrication, conformément à des ordonnances. Il existe des contrefaçons de filigranes. Les papetiers répliquent en ajoutant un deuxième filigrane appelé contremarque : en France, depuis Henri III, c’est en général le nom du papetier. Les arrêts de 1739 et 1741 fixent une sorte de « code papetier ».
    Il faut se méfier des dates dans les filigranes pour dater un livre : des erreurs peuvent exister, un matériel peut être utilisé longtemps après sa fabrication, etc… Le filigrane est toujours placé au même endroit et aide donc à déterminer le format du livre.

 

Le format

 

Ce terme recouvre deux sens : le format commercial (tel que le papier sort de la forme) et le format bibliographique (celui des cahiers du livre)

Le format commercial : au 17eme siècle, on recense 85 formats commerciaux. Par exemple la couronne représente une feuille de 36 x 46 cm, le raisin une feuille de 50 x 65 cm, etc… Le poids de la feuille est plus réglementé que sa taille.
Le format bibliographique est déterminé par les pliures de la feuille. Une feuille non pliée est un In plano, un In folio vient d’une feuille pliée une fois, un In quarto d’une feuille pliée 2 fois, un In octavo d’une feuille pliée 3 fois, etc…
On a pris l’habitude de noter des formats « apparents » : on parle d’un In 32 pour un livre de moins de 10 cm, etc.

Pour déterminer le format bibliographique, il faut donc relever le nombre de cahiers, la place des filigranes et le nombre de pontuseaux, compter les feuillets des cahiers en relevant les signatures.
Les premiers livres sont édités plutôt en grands formats (sauf les livres de piété et ouvrages destinés à être emportés avec soi). Mais des modes influent sur les choix : au 16eme siècle la mode des In octavo pour les nouveautés, alors que les œuvres anciennes restent sur grands formats. La contre-réforme édite en grands formats, etc…
Les ouvrages de référence restent toujours des grands formats.

 

Impression

 

Elle se décompose en quatre étapes :

  • Le jaugeage et  le marquage
    I
    l s’agit de prévoir l’organisation générale et particulière des pages.
  • La composition
    Les caractères peuvent être des éléments d’identification, surtout pour les incunables car ils imitent l’écriture, et grâce aux caractéristiques régionales des caractères. Mais au fil du temps on voit une uniformisation des styles. Le compositeur réalise sa page à partir de caractères de plomb pris dans la casse. Puis il dépose sa ligne dans la galée. Il marque sur la copie ses annotations qui serviront au correcteur. Il attache la page et l’apporte au banc d’imposition.
    Certaines parties se fabriquent à la fin : liminaires, préfaces, etc… car elles ne constituent pas des feuilles entières. De plus, dans les débuts de l’imprimerie on manque de caractères, les feuilles sont donc démontées à mesure qu’elles sont imprimées pour reprendre les caractères qui les composent.
    On imprime donc d’abord les pages 4-5-1-8, puis les pages 2-7-3-6, etc… D’où l’importance du jaugeage au départ : une mauvaise appréciation nécessite de resserrer ou d’aérer le texte pour rattraper les calculs erronés.
    Au 18eme siècle, on possède davantage de caractères, et l’on peut donc préparer plusieurs pages et les imprimer ensuite.
  • L’imposition
    Il faut regrouper les pages dans l’ordre pour préparer les feuillets et les visser dans le chassis. Puis les pages sont mises sur la table d’imprimerie.
  • L'impression
    Un ouvrier répartit l’encre, l’autre tire sur le barreau et imprime.
    On imprime d’abord une épreuve pour corriger les erreurs éventuelles. Le correcteur vérifie l’orthographe, la cohérence du texte, etc… Une deuxième épreuve est tirée, en principe pour les corrections de l’auteur (si celui-ci est présent). La tierce est l’impression définitive. On imprime le recto, puis on retourne pour imprimer le verso. En général, on imprime recto et verso en moins d’une journée pour éviter que le papier sèche et les différences d’aspect qui en découlent. Enfin, l’assembleur compose les exemplaires. La reliure se fait à posteriori.
    Si une recorrection s’impose, on arrête la presse pour changer les caractères. D’où plusieurs corrections possibles en cours d’impression, et comme on garde les feuilles déjà imprimées cela crée plusieurs « états » dans une même impression. Parfois, on remplace une feuille entière, mais rarement car cela revient très cher. Donc on change plutôt un seul feuillet, d’où la présence de feuillets impairs avec un feuillet de substitution rajouté. Ces correction se font en général à la demande de l’auteur absent lors des premiers tirages (par exemple Descartes, en voyage en Hollande en 1645 pendant l’impression d’une œuvre). On appelle cela un carton.
    Le carton n’est pas toujours facile à repérer, à moins que l’imprimeur n’ait laissé un signe pour le relieur (une croix, une astérisque… mais ces signes ont parfois disparu).
    Il existe également des corrections à la plume ou par le moyen d’un papillon.
    La foliotation : peut-être servait-elle au départ pour guider les relieurs, mais on n’est pas sûr de l’explication. Les ouvrages foliotés dans les incunables n’avaient pas de signature. Il s’agit d’un chiffre romain sur le verso de la page (un chiffre arabe pour les vénitiens). La foliotation a été remplacée par la pagination en 1499 au 16eme siècle.

 

 

Signatures et ornementations

 

Les signatures apparaissent dès 1462, manuscrites au départ.
Chaque cahier correspond à une lettre de l’alphabet au coin droit en bas du recto, à laquelle s’ajoute un chiffre pour chaque page dans le cahier. Les signatures ne comportent parfois que les voyelles, ou bien elles sont en alphabet latin (sans j et sans v). On utilise parfois les minuscules puis les majuscules, ou bien pour les préliminaires des astérisques, des perluètes, des ã, etc… Le relevé des signatures permet de voir si tous les cahiers ont le même nombre de feuillets : cahiers a-e4, a-z8, A-D4…
Pour les signes particuliers pour lesquels on ne peut pas trouver de signes sur l’ordinateur, on note [-]4… Voir norme Z44-074 Il faut compter le nombre de feuillets du cahier et non le nombre de feuillets signés (en général le double, sauf exception : région parisienne moitié + 1, etc…)
Une réclame est la reprise en bas de page du premier mot ou des premiers mots de la page suivante, pour être certains que l’assemblage se fait dans le bon ordre.

Les ornementations sont souvent caractéristiques d’un éditeur, indice d’une identité d’origine. Mais au 18eme siècle, les vignettes deviennent davantage passe-partout, donc moins utilisables pour l’identification du livre. Les faussaires supprimaient souvent les ornementations pour ne pas se faire détecter.

 

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